Une chronique de Gérard
JEAN
Le plus
terrifiant des incendies.
Dans le quartier
de la Toulzane, 126 maisons brûlent pendant trois jours.
Les couvents des
Augustins et des Trinitaires sont détruits.
Jamais,
hors temps de guerre, les ordres monastiques, la paysannerie, la
bourgeoisie, les notables de la ville de Limoux n'avaient ressenti
autant d'effroi. Et pourtant rarement, leur commune a été épargnée. Ils
connaissent depuis toujours les gens d'armes, les épidémies, les émeutes
populaires et mieux que personne ces inondations cycliques. Ils savent
depuis un millénaire que les eaux de l'Aude deviennent dévastatrices,
quelles causent de grandes calamités et ils quittent alors la basse
ville pour rejoindre les collines environnantes. Mais en ce jour de la
saint Nicomède la grande "Tercial" sonne "à bandol" le glas le plus
terrible, le plus lugubre que l'on puisse imaginer. Les tambours de la
commune ne savent plus ! Les nuits succèdent aux jours, ils battent aux
champs, au redoublé, ils battent aux morts.
Le samedi 15 septembre 1685,
un grand incendie s'est déclaré. Depuis "neuf angélus", ces maisons,
alors construites en torchis, formant des avancements, déplaisantes et
contraires aux lois de l'hygiène, facilitent la propagation des flammes.
Le mandement de la Toulzane brûle, les couvents des Trinitaires et des
Augustins sont atteints, le quartier le plus riche, celui en tout cas où
il y a quantité de marchands, tant propriétaires que locataires, celui
dont les maisons ont une valeur considérable et sont d'une belle
grandeur, est détruit. La ville entière va être anéantie. Les puits qui
existent sur la place publique et dans les rues sont d'un faible
secours, l'un après l'autre, ils tarissent... Les habitants sont dans
une extrême misère depuis cette année 1673 où ils eurent à subir au mois
de février, l'inondation qui a causé la ruine d'un grand nombre de
bâtisses, puis la grêle privative de récoltes, et l'incendie du 21 juin
au cours duquel vingt-six immeubles situés dans le quartier de l'église
sont devenus la proie des flammes.
Les moines accourus,
nombreux, la plupart en robe de bure, dans le meilleur quartier de la
ville, ont abandonné depuis plusieurs heures maintenant toute
intervention physique et ils psalmodient inlassablement, au milieu des
ruines, des braises, des bois calcinés de la rue de la Trinité ; ils
vont en procession avec le Très Saint-Sacrement, dans la rue Toulzane,
dans celle des Augustins car rien n'arrêtera la désolation ni la
progression du feu sauf peut-être les prières et l'invocation de
Notre-Dame du Rosaire. Il n'y a plus d'eau, les bras deviennent
inutiles, la population fuit et les cendres retombent loin derrière les
remparts.
Les consuls modernes se sont
assemblés avec les anciens, groupés autour du Juge-mage sur le parvis de
l'église ; les flammes se propagent encore ; il y a le médecin Pierre
Delpoy, Jean Sauvage, Jean Cabrol, Louis Salva et Jean Vidal, tous
hommes de foi, impuissants devant la volonté de Dieu. Ils implorent
Notre-Dame de Marceille, font le vœu d'offrir à la vierge miraculeuse un
grandiose ex-voto, peint à l'huile, monté sur châssis, d'une valeur de
plus de cent livres, si elle veut bien intercéder. On nous dit que
l'embrasement s'arrêta subitement !
Le désastre est immense :
cent vingt-deux maisons, "d'une valeur considérable, d'un grand
compoix à cause de leur grandeur" sont entièrement détruites ; cent
vingt-six finalement devront être reconstruites ; la misère est partout,
la détresse incommensurable, l'habitant n'est plus en mesure de payer
l'impôt ni même le tableau commémoratif offert au ciel !
Mais il ne saurait être
question de refouler plus longtemps la promesse à Dieu, ni d'échapper
aux engagements pris il y a quatre ans par les plus influentes
personnalités d'une ville dont la piété est encore extrêmement forte, et
où les ordres monastiques se bousculent. Dans l'après-midi de l'an 1689,
et le troisième jour du mois d'octobre, Marc Antoine de Peyre, seigneur
de Malras et Mongaillard, conseiller du roi, s'entoure de Guilhaume de
Vézian, Mathieu Cherreau, Esprit Vasserot, Joseph Tronc et Pierre Marre,
cinq des consuls de la communauté de Limoux qui se réunissent à l'Hôtel
de Ville afin de confier au peintre Sébastien Macoin, la réalisation
d'un immense ex-voto, conforme au dessin déjà proposé, représentant,
disent-ils : "le vœu que firent le Juge-mage et les consuls de l'année
1685 à Notre-Dame de Marceille pour arrêter le grand incendie qui arriva
à la présente ville le 15 septembre de la dite année."
L'artiste dispose de trois
mois. Il jure de faire un travail parfait et d'exposer la veille du
prochain Noël, dans la chapelle de la Vierge à Notre-Dame de Marceille -
où il se trouve encore de nos jours - un tableau de six mètres sur cinq
figurant les limouxins éplorés qui assistent à une procession du
Très-Saint-Sacrement, à travers les rues du quartier incendié, afin
d'obtenir du Dieu présent dans la divine hostie la cessation de
l'incendie. Le coût sera de cent douze livres dix sols.
©
Gérard JEAN |