Une chronique de Gérard JEAN
Sous la garde vigilante de la caserne Gendarme
Dauberciès, la rue d’Aude plonge, c’est naturel, vers le fleuve
dont elle porte le nom. De l’avenue du Pont de France, elle conduit
droit vers l’allée du 19 mars 1962, entre les anciens bâtiments à
la haute cheminée de la distillerie, aujourd’hui occupés par les
bureaux du Syndicat de défense du cru Blanquette, ainsi que par les
entrepôts coopératifs de la Cavale et le dernier siège de l’agence
locale du Crédit Agricole du Midi. Elle paraît avoir été vouée
depuis son origine à la viticulture ou au concours du monde vigneron, même
si depuis peu, elle accueille d’importants cabinets médicaux et
d’ophtalmologie. Contrairement à sa proche consœur : la rue
Louis Braille ; elle n’a connu ni l’animation des fins de
semaines pendant lesquelles, jeunes gens et travailleurs fréquentaient
rituellement les bains-douches, ni le babil provenant de la crèche où
se gardent les enfants en bas âge, mais elle soupçonnait le massacre
de ces bestiaux, conduits par-derrière elle, aux abattoirs municipaux.
Après avoir observé pendant longtemps le défilé des chômeurs à qui
l’on distribuait travaux et outils, lorsque arrivaient les difficiles
périodes, elle voit maintenant venir les malchanceux de la vie, partis
à la recherche du Resto du Cœur, caché quelque part en bout de ville.
Elle en aurait des histoires à raconter ; mais elles seraient
peut-être si tristes qu’il est préférable d’évoquer celles de
notre fleuve, mentionné dans les textes de l’écrivain latin Pline,
sous le nom de Atax. Atax qui pourrait bien être une déformation ou une
mauvaise transcription de Altax, signifiant les eaux ; le cours
d’eau, venu d’en haut ; ce qui caractérise bien l’Aude
descendant très rapidement du Capcir par les gorges du Carcanet,
jusqu’à Axat et Quillan, puis normalement jusqu’à la mer. Assez
souvent en effet, dans les temps les plus reculés, rivières et fleuves
ont été nommés en fonction de l’altitude de leur source. Ainsi, Alt
serait une réduction de Alta, voulant dire la haute, tandis que la
terminaison Ax proviendrait de la contraction de l’accusatif latin,
Aquas, les eaux. Par la suite, en fonction du phénomène de
vocalisation bien connu des linguistes, le L serait devenu Ou pour
donner Aoudo, puis évidemment en français : Aude. C’est un minuscule mais charmant petit lac d’Aude
(140 mètres de long, 80 mètres de large), situé au pied du mont
Llaret (2377 mètres), près du village des Angles, à huit kilomètres
au nord de Mont-Louis, dans le département des Pyrénées-Orientales,
qui donne naissance au fleuve. Cette agréable réserve d’eau, située
à 2200 mètres d’altitude, près de laquelle s’approchent, dans la
quiétude, cerf et biches cherchant à s’abreuver, entourée de pins
et de sapins, est atteinte par le sentier de la station de ski de Pla
del Mir ou encore à partir de pistes piétonnes existant sur les bords
de la route qui monte au lac des Bouillouses. De la partie aval la plus resserrée du lac, s’échappe
l’Aude qui descend rapidement entre les blocs de granit, se divisant
sans cesse en plusieurs petits bras, pour finalement se discipliner un
peu, en longeant après quelques kilomètres la belle forêt domaniale
de Barres. Encore ruisseau, l’Aude cascade jusqu’au lac artificiel
de Matemale, situé à 1537 mètres d’altitude ; alors ce dernier
s’en empare, pour le libérer en aval, à son extrémité sud-est au
pied du barrage. L’Aude traverse le Capcir - immense conque de dix à
vingt kilomètres de diamètre - couvert de forêts, élevé de 1500 mètres,
avant de se jeter à nouveau dans une autre étendue d’eau
artificielle, retenue par le barrage de Puyvalador. Après sa libération, il passe sous le pont de la
Forge et longe une importante carrière d’exploitation de moraines
granitiques à flanc de montagne, poursuit sa descente et quitte les Pyrénées-Orientales
pour entrer dans le département de l’Ariège où il arrose en partie
le canton de Quérigut. Pendant
7 kilomètres, le fleuve est très encaissé, il suit la forêt
domaniale du Carcanet, couverte de sapins, hêtres et ormes, si bien que
l’accès à ses rives en devient très difficile ; juste avant
d’obliquer vers le nord-ouest, il atteint la limite des départements
de l’Aude et de l’Ariège qu’il longe pendant plus de 9 kilomètres. La grande rencontre de l’Aude sera alors la
puissante centrale hydro-électrique d’Escouloubre, alimentée par une
conduite forcée venant du barrage de Puyvalador ; ensuite, sa vallée
annonce une grande richesse en sources thermales, toutes sulfurées,
sodiques, arsenicales, plus ou moins chaudes. Poursuivant sa descente,
le fleuve rejoint bientôt les Bains d’Escouloubre, puis ceux de
Carcanières, d’Esparre et d’Usson. De la rive gauche, il reçoit
finalement l’apport de sa première rivière : « La
Bruyante » ; pénètre le Pays de Sault et abandonne définitivement
ses tergiversations entre l’Ariège et l’Aude au niveau de l’usine
électrique d’Usson-les-Bains. Plus bas, au pied de la forêt de Navarre qui prolonge
celle de Gesse, l’Aude récupère sur la rive droite « L’Aiguette » ;
le deuxième vrai affluent depuis sa source, mais le premier seulement
depuis qu’il est entré sur le territoire administratif auquel il a prêté
son nom ; poursuivant, il franchit les gorges de Saint-Georges, de
la Pierre-Lys et l’Etroit d’Alet
d’où il s’élargit graduellement jusqu’à Carcassonne. L’Aude traverse Limoux, Carcassonne et Narbonne,
mais baigne aussi, entre autres communes : Escouloubre, Axat,
Saint-Martin-Lys, Belvianes, Quillan, Campagne Espéraza, Couiza,
Alet-les-Bains, Pieusse, Cépie, Pomas, Rouffiac-d’Aude, Couffoulens
Trèbes, Barbaira, Capendu, Saint-Couat-d’Aude, Puicheric,
Castelnau-d’Aude, Cuxac-d’Aude, Salles-d’Aude et Cabanes-de-Fleury
où se trouve son embouchure, un peu au-dessous de l’étang de Vendres. Son cours est d’environ 220 kilomètres, dont 180
dans notre seul département. Le fleuve n’est vraiment jamais
navigable, cependant, jusqu’au début du XXe il a permis la
flottaison de trains de radeaux depuis le pont de Quillan jusqu’à
l’estuaire. Les bois de construction des forêts de l’Etat et des
forêts particulières, qui bordaient les rives du bassin supérieur,
arrivaient ainsi jusqu’à Carcassonne, à raison d’une vitesse
moyenne de 20 à 25 kilomètres par jour. Les paysages qu’offrent les bords de l’Aude sont
des plus variés. Ici, de gigantesques rocs nus taillés à pic, ou des
pentes abruptes ravinées par les eaux pluviales et couvertes d’épaisses
forêts ; là, des plateaux qui dominent, semblables à des oasis de
verdure ; plus loin, de riants coteaux ou de grasses prairies ;
puis, de soudains étranglements et le retour à une nature âpre et
pauvre ; enfin définitivement la plaine, avec toutes ses cultures
et toutes ses richesses, avec sa bordure de collines lointaines et régulières,
et en fond, au nord, la longue ligne sombre et les flancs chargés de hêtres,
de chênes et de châtaigniers de la Montagne-Noire. Le fleuve lui-même change d’allure et de couleur,
suivant la disposition et la nature des terrains qu’il arrose.
Suspendu d’abord à 2000 mètres et même plus, au-dessus du niveau de
la mer, emprisonné et comme étouffé dans son berceau, il lutte pour
conquérir l’espace et la lumière. Alors sa marche est fougueuse et
retentissante, ses eaux vives et claires. Mais en s’étendant il
ralentit et perd de sa limpidité. Capricieux d’ailleurs, tantôt il
n’a qu’un filet d’eau, tantôt, débordant au premier orage, il va
inonder au loin ses rives : à Limoux, à Carcassonne, dans le pays
bas. A Carcassonne, il n’est plus qu’à 103 mètres
au-dessus du niveau de la mer et commence à languir ; à Trèbes,
plus resserré, il retrouve un peu de vitesse, mais au-delà, et surtout
dans la plaine de Coursan, il se traîne sur une pente presque
insensible, dans un lit qu’exhaussent tous les ans les couches de
limon qu’y déposent ses eaux troublées, et il parvient enfin
jusqu’à la Méditerranée, où il se jette, bien différent de ce
qu’il était à son point de départ. Depuis son entrée dans le département jusqu’à
Carcassonne, le fleuve a pour affluents : sur sa droite, l’Aiguette,
le ruisseau de Saint-Bertrand, la Sals, le ruisseau de Saint-Polycarpe,
le Lauquet ; sur sa gauche, le Rebenty, le Raby ou ruisseau de Fa,
la Corneilla, le Cougaing, le Sou. Depuis Carcassonne jusqu’à son embouchure, le
fleuve a pour affluents : sur sa droite, la Bretonne, l’Orbieu ;
sur sa gauche, le Fresquel, le Trapel, l’Orbiel, l’Argent-double,
l’Ognon et la Cesse. L’embouchure de l’Aude, qui n’est en sommes aujourd’hui qu’un chenal artificiel, entièrement établi de main d’homme, se situe aux Cabannes-de-Fleury ; un village de pêcheurs, formé à l’origine par un agglomérat de constructions de bric et de broc et de grossières cabanes de roseaux, devenu aujourd’hui un charmant petit port de plaisance et de pêche où l’on pratique encore l’originale et ancestrale pêche au globe.
© Gérard JEAN |