Une chronique de Gérard JEAN
Le klaxon de la vieille Peugeot 203 noire du
Commissariat de Police n'arrête pas d'hululer étrangement dans les
rues de la ville, aussi peu éclairées les unes que les autres. Il est
trois heures du matin lorsque l'officier de permanence tente de récupérer
au plus vite ses gardiens de la paix en se rendant au domicile de tous,
car aucun d'entre eux n'est équipé du téléphone. La chaleur de la
nuit est oppressante et il fait bizarrement très noir ; pas un seul
rayon de lune, pas une étoile n'éclaire cette veille du 15 août 1958.
Maintenant, l'appariteur municipal, Charles Andrieu, a déclenché
l'alerte générale en faisant donner toute la mesure aux cornets placés
au dessus de son appartement de fonction. La sirène hurle longuement
car un incendie d'une rare violence ravage le grand immeuble Bergé situé
entre la rue de la Gare et la rue du Gaz. De partout, les sapeurs pompiers volontaires
accourent ou foncent à bicyclette pour rejoindre la caserne ; mais voilà
que leur camion vétuste, porteur de l'unique moto-pompe dont on
dispose, vient d'être lancé dans la rue Blanquerie et là, il s'arrête
pour ne plus démarrer comme s'il refusait d'aller au feu!
Depuis bientôt une heure, des flammes d'une hauteur prodigieuse
sont visibles depuis la Porte Saint-Jean. Nos braves soldats n'ont
d'autre solution que de pousser et tirer à bras
d'hommes, cet engin de secours, puissant et bien utile, mais
aujourd'hui inerte. Le sinistre va-t-il se propager en raison du vent et
atteindre les entrepôts Brych, bourrés de charbon et de liquides
combustibles, situés de l'autre côté de cette rue qui ne porte pas
encore le nom de Casimir Clottes ?
Ou le feu va-t-il s'emparer de l'usine à gaz elle même et de
ses stocks immenses de produits inflammables ? Six puissantes lances
d'incendie sont continuellement et depuis longtemps en action. Il est
sept heures du matin ; le jour de l'Assomption se lève sur les ruines
de l'atelier de chaussures de M. Bellus, situé au rez-de-chaussée et
la désolation des vingt-six occupants de la bâtisse, aux trois quarts
détruite, qui se trouvent sans abri[1].
C'est au cours de sa délibération du 7 juin
1974, sous la municipalité de Robert Badoc, que le Conseil, s'est
prononcé à l'unanimité, pour adopter la proposition de l'Adjoint Eugène
Tournié visant à donner le nom de Rue Casimir Clottes, poète audois,
à la voie sans dénomination reliant la rue du Gaz à la rue de la Gare[2].
Mais finalement, qui était ce Clottes dont Jean Fourié, Majoral du Félibrige,
nous parle avec tant de passion dans plusieurs de ses remarquables écrits[3]
? Que tenter de mieux, sinon vous livrer les larges extraits de la préface
du livre réimprimé "A la clarou del calelh" où les
principales œuvres du poète occitan ont été rassemblées[4].
Issu d'une modeste famille d'agriculteurs de la
Haute-Vallée de l'Aude, Louis Casimir Clottes naît à Cassaignes,
petit village d'une centaine d'âmes, perché sur les plateaux battus
par le vent qui surplombent la Sals entre Coustaussa et Serres, en face
du massif de Blanchefort. Le registre d'Etat-Civil de la commune signale
que l'événement a lieu à 6 heures du matin, le 26 juin 1872. Le père,
Paul Clottes, est un homme de 37 ans qui vit de la culture de quelques
arpents de terre et surtout de l'élevage des moutons. La mère, née
Elisabeth Blanc, est originaire de Rennes-les-Bains. La maison familiale
se trouve au bout du village, côté est, après le bâtiment servant de
mairie. A l'école primaire, le futur poète montre une application et
des aptitudes prometteuses contrariées, hélas souvent, par une santé
déficiente qui ne lui permet pas, après l'obtention de son certificat
d'études, de seconder son père dans les travaux de la terre. Ses parents ne sont pas assez fortunés pour lui
permettre de continuer ses études. Casimir Clottes, hésite beaucoup
paraît-il, puis se dirige vers une
carrière administrative. Le 1er juillet 1892, âgé
de vingt ans, il est commis auxiliaire au bureau de poste de Limoux.
Nommé surnuméraire le 1er novembre 1894, il devient commis
titulaire le 1er juillet 1895. Comme tous les habitants de
Cassaignes, Casimir Clottes parle la langue d'Oc couramment et avec une
richesse de vocabulaire encore fort honorable. Tout laisse penser que
l'envie d'écrire saisit notre jeune postier pendant le temps où il est
employé à Limoux. N'ayant pas accompli son service militaire, en
raison de son ajournement, Casimir Clottes est mis à la disposition du
ministre des Colonies et, le 16 décembre 1895, il part pour le Tonkin où
il séjourne près de dix années. Si cette longue expatriation exotique
apporte à notre poète un traitement plus conséquent et un avancement
rapide, sa santé par contre est fortement ébranlée, tant et si bien
qu'il doit réintégrer la métropole. Le 16 octobre 1905, il est nommé
commis à Romorantin, puis à Carcassonne le 1er avril 1906.
Quelques mois plus tard, il part pour Sète et y demeure cinq ans. Le 20
février 1907, il épouse Marie Delphine Catherine Dufis, originaire
d'Espéraza, née le 29 août 1882. De Sète, Casimir Clottes adhère à
l'Escola Mondina de Toulouse, se lie avec Paul Albarel et, dès 1907,
participe aux concours annuels des Jeux Floraux organisés par cette
Société littéraire. Le 16 septembre 1911, Louis Casimir, promu
commis principal, rejoint Paris. Esprit éclectique, maniant l'humour et
la rime avec une dextérité remarquable, il acquiert, dans les milieux
méridionaux de la capitale, une confortable notoriété, d'autant plus
qu'il est d'un caractère fort liant et d'une amabilité quasi légendaire.
Lorsque les hostilités éclatent en août 1914, Casimir Clottes, qui
n'est pas mobilisable, reste "là-haut" et devient le secrétaire
de rédaction pour "L'Aude à Paris". C'est dans cette feuille
amicale qu'il publie sa célèbre chanson "L'Audenca", appelée
à devenir une sorte d'hymne attitré des Enfants de l'Aude à Paris. Miné par la maladie, épuisé par une activité trop intense, Louis Casimir Clottes meurt subitement le 8 janvier 1924 dans son petit appartement du 15ème arrondissement. Selon sa volonté expresse, son corps est transféré dans l'Aude. L'inhumation a lieu à Raissac-sur-Lampy le 13 janvier, en présence de Maurice Sarraut, sénateur de l'Aude et directeur de "La Dépêche de Toulouse" © Gérard JEAN [1] - Journal "Le Limouxin", numéro 721, 23 août 1958 [2] - Registres des délibérations - Ville de Limoux - Séance du 7 juin 1974 [3] - Un poète occitan audois : Louis Casimir Clottes, sa vie, son œuvre - Mémoires de l'Académie des Arts et des Sciences de Carcassonne, 4ème série, t. VIII, pp. 187 à 194, 1973 [4] - A la clarou del calelh, Casimir Clottes, poète occitan, 1872-1924, Cassaignes, 1991 |