Une chronique de Gérard JEAN
Il nous semble qu'elle a toujours existé car son
appellation est restée quasiment constante au fil des siècles. Voisine
des biens de l'église, elle connaît nombre de péripéties
religieuses, mais naturellement, son plus grand plaisir consister à
faire connaître l'une des plus anciennes activités de la commune : le
flottage des bois sur l'Aude. Que ne sait-elle, au sujet de ces hommes, ces radeliés[1]
aimés, venus frapper en groupe son pavé à l'aide de longues perches,
pieds nus et bardés de cordages? Que n'a-t-elle chanté au passage des carras[2]
qui ne daignaient s'arrêter ? : "Gaitas veni lous carrasiès - Lous poumpils nus e sèms souliès
- Dreits, plantats sus un trin que
passo". Rue de la carrassière, tel est son nom originel,
celui que l'on connaît du moins depuis le début du xiiie siècle et que l'on retrouve sur un acte de
l'an 1299 conservé par les religieuses de Notre-Dame de Prouille[3].
Cette mention est d'un intérêt relativement important puisqu'elle
permet d'affirmer que les carrasses[4],
ou trains de bois, venus de la Haute-Vallée, ont traversé notre ville
sur le fleuve pendant six cents ans. L'étymologie du mot "carrassière"
évoquant chez nous, soit un chemin dallé de grosses pierres, soit,
plus souvent, l'ouverture pratiquée dans un barrage de retenue d'eau[5],
en l'occurrence celui tout proche qui permettait d'alimenter le Moulin
de la Porte Saint-Jean. On est un peu surpris d'apprendre qu'en 1380, le sieur
Germain Roger, souhaite acquérir quatre "patus" au lieu dit
"ad carrasseriam", au devant de la Maison de
Saint-Martin, "confrontant de
trois parts avec les rues publiques, contenant en longueur 16 cannes et
en largeur ou profondeur 15 cannes". Car en effet, cette Maison
de Saint-Martin, souvent mentionnée au cours des siècles sur les
titres ainsi que sur les compoix des xvie
et xviie siècles
paraît être, d'après la description et les dimensions qui sont données,
l'immeuble occupé actuellement par la famille Estaun. Et l'on
s'interroge car la dite bâtisse, très ancienne, si vaste, si caractéristique
du passé , s'appelle aujourd'hui, depuis des temps immémoriaux, "L'Arche".
Ne peut-on penser au premier palais consulaire de Limoux dont on ignore
toujours l'emplacement ? Puisque
après tout, un certain nombre de choses marquent l'existence féodale
d'une bourgade : le sceau, privilège des personnes morales ; l'hôtel
de ville où la charte attestant l'existence de la commune se trouve
conservée dans un coffre dénommé "L'Arche",
enfin le beffroi où sonne la cloche, symbole de la vie civique, qui
appelle les bourgeois à se réunir. En 1753, entre autres, les sieurs Estienne Seguy,
Raimont Sarrut, pareurs de draps, Jean Pierre Chalabre, et Estienne
Vidal, maîtres manufacturiers, François Laffon, bourgeois, Jean Roger,
maître perruquier, ainsi que la dame Jeanne Terraillou, veuve de
Jacques Ormières, cardeur, habitent la rue de la Carrasserie, toujours
incluse dans le mandement de l'église,
Monsieur le curé, pour sa part, dispose d'un grand jardin situé
à l'emplacement de la belle maison d'angle dont la façade principale
donne sur la rue de la Mairie et non construite bien entendu à cette époque. En 1940 on appose, à l'angle gauche le plus bas de la
rue, un témoin rappelant la crue et la hauteur des eaux relevée, soit
: 1 mètre 60. La rue de la Carrasserie qui relie aujourd'hui celle de la Mairie et les berges de l'Aude ouvertes à la circulation routière, d'une longueur approximative de cent mètres, plonge vers le fleuve. Elle voit passer les automobilistes, utilisateurs d'un autre moyen de transports et n'entend plus l'ancien cri joyeux des limouxins : "Arriboun lés carrassés ! Arriboun ! © Gérard JEAN [3] - Annales du Prieuré de Notre-Dame de Prouille, Imprimerie Victor Bonnafous-Thomas, Carcassonne, 1902 - Edilbert de Teule [4] - Carrasses, pluriel languedocien de carras [5] - Ce passage utilisé par les carras pouvait avoir été pratiqué dans la digue qui reliait l'Ile de Sournie à l'ancien moulin de la Porte (Saint-Jean). |